Le journaliste-producteur-directeur a ceci d’agaçant : il est aussi sympathique que son cv est long et multiforme. RMC, Europe 1, Canal+ (Top
50, Rapido), Antenne 2, Libération, Rolling Stone magazine, Rock & Folk, Le Nouvel Observateur, France Inter, BBC, Fnac, ancien responsable des programmes de France 4, Endemol France et RTL,
auteur de sept livres, chevalier des Arts et des Lettres… L’ex-président des Victoires de la musique est plus qu’un cumulard : un vieux routier. Depuis fin 2012, il est directeur général de
TV5 Monde.
« S’il y a eu un âge d’or de la musique dans les médias, c’est dans les années 60 avec Salut les
copains (Europe 1) et Président Rosko (RTL). Un peu dans les années 70, avec Le Pop-Club (France Inter) ou Campus (Europe 1, toujours). Il y avait un vrai contenu social et culturel. Je me
souviens : c’était la guerre avec les attachées de presse. Si un artiste ne passait pas à l’antenne, il en allait de sa survie. Puis, des personnalités sont arrivées : Georges Lang,
José Arthur, Bernard Lenoir… Mais, globalement, ça s’est ghettoïsé le soir ou le week-end.
En télévision, la musique n’a jamais été dominante. De plus, la France, l’Italie et l’Espagne font de la
variété leur format principal (une sorte d’exception culturelle latine). De nombreuses émissions ont été créées, hein, mais peu ont survécu sur la longueur. Et même si beaucoup s’y réfèrent
aujourd’hui, c’est un peu le syndrome « Velvet Underground » : peu de ventes, mais tous ceux qui ont acheté ont monté un groupe. Imaginez : Deep Purple sur Antenne 2, et même
si tous n’adhéraient pas, ça faisait du bruit !
C’est l’arrivée de la FM qui a encouragé les robinets à clips ou les radios à l’américaine (NRJ, FUN Radio,
Skyrock…). On a professionnalisé les playlists. Déjà, à la fin des Enfants du rock, la musique était déjà tenue par des dinosaures. Alors oui, il y avait radio Nova et Ouï FM, mais c’était en
marge... Et puis, l’arrivée de Médiamétrie (ndla : 1989) a divisé les programmes en deux : le show variété contre l’émission spécialisée.
Ou alors, il faut avoir ça dans l’ADN, comme Canal+. Même sans musique, ils sont rock…
Sous les sunlights du tropisme
Aujourd’hui, les émissions musicales sont de moins en moins éditorialisées. Des types comme
Georges Lang (RTL), on ne lui demande pas ce qu’il va passer et c’est normal ! Un exemple devenu rare. On a même essayé de s’en séparer, sans succès, en 2000. Mais voilà : ce type
fait partie de l’image de la station avec Bouvard. On les disait ringards, ils sont désormais vintage ! Une preuve qu’il faut rester soi-même. Et c’est bien ça le problème : de moins en
moins de « signatures » à l’antenne, peu de relève... Pourtant, on en cherche !
On dit souvent que la télévision, c’est beaucoup d’obligation : le prompteur, le format, etc. Je reste
persuadé que c’est par défaut. Que si on trouve la bonne personne, ça fonctionnera. Il faut sortir du modèle présentateur-homme-sandwich et investir dans les personnalités. Qui sont les Nick Kent
et Manœuvre d’aujourd’hui ? On regarde souvent le contenant avant le contenu. Et comment les ramener sur les médias dominants d’aujourd’hui ? Les signatures actuelles n’arrivent pas à
s’affirmer parce que leur haut-parleur se perd dans l’écho de la concurrence…
Et toujours ce dilemme : chaque fois qu’une émission passe à l’antenne, tout le monde a quelque chose de
mieux à faire… Les gens n’arrivent pas à se motiver. Il faut avouer qu’à une certaine époque, la musique était rare. Notre premier réflexe, c’était juste de voir la tronche des Pink Floyd (nous
n’avions que les pochettes !). Nous avons perdu cette dimension de chercheurs d’or, cette quête exaltante qui prenait 5 ans pour un vinyle quand aujourd’hui 5 min. suffisent pour se regarder
les derniers concerts des Rolling Stones. Et puis, nous sommes dans le « re » absolu. Regardez le dernier Daft Punk… Mignon, hein ? Mais pas novateur.
Comment réussir une émission ?
Pour réussir, la recette est simple : respecter le public. Ne pas lui donner de repaires, c’est le
mépriser. Tout le monde ne sait pas que Morrissey est le chanteur des Smiths ! Ni même pourquoi les bootlegs de Bob Dylan sont si importants. Il faut pouvoir expliquer pourquoi c’est génial,
mais pas dans le sens éducation à la soviétique. C’était le secret d’Ardisson sur France 2 : traiter tous les invités, et d’horizons différents, de la même manière. Les gens ont envie d’être
élevé dès lors qu’ils sentent qu’ils font partie de l’émission. Toujours replacer les contextes, donc. Pas de condescendance, ni de copinage.
C’est l’échec récurrent des émissions de cinéma ! Frédéric Lopez était le seul à réussir, mais le métier
l’a dézingué : pas assez professionnel, ligne éditoriale trop ouverte… Ils ont eu tord. On ne fait pas une émission en citant comme ça « Gérard », « Luc » ou des
anecdotes du métier. Les gens veulent juste savoir si le film vaut le prix de la place. Ne pas oublier que la télévision est presque gratuite. Il n’y a pas d’effort, pas de public captif. À nous
de nous plier aux autres. C’est aussi bête que ça.
La qualité de la musique ne suffit plus, l’émission prime avant tout. Il faut être singulier dans son
traitement (le tout « live » de Taratata, par exemple). La musique est moins urgente et moins communautaire aujourd’hui, mais il reste important d’inspirer les gens, qu’ils soient
téléspectateurs, journalistes ou… artistes.
Souvenirs, souvenirs
Quand l’émission Rapido est passée sur la BBC (années
80), nous étions à contre-courant. Les Stones ne passaient que chez nous, les Pink Floyd nous donnait accès à tout – on en revenait pas : même David Gilmour (ndla : guitariste-chanteur) en plein repassage de son pantalon ! –, les Ride (ndla : groupe de rock
britannique) se sont formés après avoir vu notre émission, Nirvana demandait dans chaque pays visités par quel moyen ils pourraient nous regarder et 200 lettres d’amour arrivaient chaque
semaine pour Antoine de Caunes…
Tout ce métier, pour être honnête, s’est fait par hasard (je voulais être footballeur !). On ne savait
pas que l’on en ferait une carrière. Ca m’a servit : encore aujourd’hui, je fais des recrutements à partir de sensibilités artistiques (comme par exemple avec Marie Drucker ou Stéphane Bern
sur RTL). C’est une question de valeurs partagées.
France 2, c’était différent, car généraliste. Il ne faut pas oublier que c’est une marque qui doit prouver
chaque fois son utilité publique, qui se construit face à TF1. La recette est donc un mix entre découvertes et confirmés. D’où mon idée de CD’aujourd’hui : un format court que l’on ne
pourrait arrêter faute d’audience. 2013 m’a donné tord…
Le rock a toujours véhiculé l’idée de liberté et d’indépendance. À France 2, on m’a demandé si je n’étais pas
trop élitiste. Pourtant, je suis devenu l’un des meilleurs amis de Patrick Sébastien (et type qui, malgré ses chiffres d’audience, a toujours l’impression d’être hors circuit, pas accepté).
Internet est la liberté ? Pour l’instant, les chaînes regardent peu les reports effectués sur ce support.
Sur TV5 Monde, nous avons depuis 10 ans l’émission « Acoustique » (ndla : présenté par Sébastien Folin). C’est enregistré dans un studio mythique, celui où les deux derniers morceaux des Stones ont été réalisés.
Objectif : traiter les francophones, qu’importe la langue du chant. Seule obligation : que l’interview soit en français.
Dans mon bureau, on croise un disque d’Etha James, un logo des Stones sur une carte… J’ai parfois été plus
fétichiste que ça dans de précédents postes ! Mais mon moment préféré, c’est, chaque mois, l’achat de mes magazines musicaux préférés (Magic, Rolling Stone…). D’autant que c’est un
petit plaisir qui pourrait malheureusement disparaître dans deux ans…
> Interview Stéphane Saunier
Photo d'ouverture : Mandor